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Histoires de poissons

11 juillet 2024



Histoires de poissons

La Gaspésie est une région de bord de mer et les plans d’eau qui la baignent, tant le fleuve Saint-Laurent, le golfe que la baie des Chaleurs, se sont faits nourriciers. Depuis des siècles, poissons, mollusques et crustacés ont alimenté des générations d’hommes et de femmes de partout ayant habité ses côtes. De toutes les espèces, la morue et le saumon occupent une place particulière, car leur importance sociale et économique fait partie de l’histoire gaspésienne. En remontant le fil du temps, le long des côtes de Gespe’gewa’gi, leur territoire traditionnel, les Mi’gmaq et Mi’gmaques se sont adonné·es et s’adonnent encore à la pêche et à la cueillette de mollusques. Les ressources halieutiques sont importantes pour cette nation surnommée le Peuple de la mer. Particulièrement le saumon, pêché dans l’estuaire des rivières, qui constitue un animal totémique dont la force et la vaillance les inspirent.

 

LA MORUE, TRÉSOR GASPÉSIEN

Avec l’arrivée des pêcheurs européens, la morue devient le véritable trésor de la Nouvelle-France. Tout au long des 17e et 18e  siècles, de pleines cargaisons de ce poisson, salé et séché sur les grèves gaspésiennes, franchissent l’Atlantique pour aller nourrir les peuples méditerranéens. La production est colossale. À ce sujet, un événement historique impliquant le général James Wolfe en donne un aperçu. En 1758, après avoir démoli la forteresse de Louisbourg, au Cap-Breton, Wolfe planifie l’attaque de Québec. La saison de navigation étant trop avancée, le général, pour occuper ses troupes, fait des raids en Gaspésie, et détruit des villages et plus de 20000 quintaux de morue salée et séchée, surtout à Grande-Rivière, Gaspé et Mont-Louis. Un quintal équivalant à 112 livres, cela donne un total de 2,2 millions de livres de morue prêtes à être exportées vers l’Europe ! Quant à Québec, il s’y rend l’année suivante, en 1759, et gagnera la célèbre bataille des Plaines d’Abraham.

Au lendemain de la Conquête anglaise de 1760, des compagnies jersiaises, dont la Charles Robin est la plus connue, s’implantent le long de la côte et dominent l’industrie des pêches. Pendant plus de 150 ans, ces compagnies produisent uniquement de la morue salée séchée avec, comme sousproduit, l’huile de foie de morue. Dans les villages côtiers, sur des vigneaux ou sur les grèves de galets, les morues sèchent lentement au soleil. D’ailleurs, la Gaspésie présente un climat et un ensoleillement ni trop chaud, ni trop sec, qui est parfait pour produire une morue séchée d’une qualité exceptionnelle. Pour les compagnies jersiaises, seul ce poisson a une valeur. Les autres espèces fréquentant les côtes de la région, telles que les harengs, capelans, éperlans et autres, ne sont pas récupérées, si bien que les pêcheurs les consomment, les utilisent comme boëtte pour la pêche à la morue ou s’en servent pour engraisser les champs.

Plusieurs générations de pêcheurs vont travailler pour ces compagnies qui achètent les morues entières à l’exception de la tête et des arêtes. Avec ces restes, les familles font une soupe, appelée quiaude, avec des patates, des oignons et du lard salé s’il y en a. Avec le temps, cette soupe est devenue un véritable classique de la cuisine du terroir gaspésien. Plusieurs variantes, toujours avec de la morue, sont servies de nos jours dans des restaurants gaspésiens.

Après la Première Guerre mondiale (1914-1918) et le départ des compagnies jersiaises, les pêcheurs de morue, désireux de se prendre en main, forment des coopératives. Après des débuts difficiles et la crise de 1929, les coopératives connaissent des années plus fastes, diversifient leurs produits et se rassemblent sous le vocable Pêcheurs-Unis du Québec à la fin de la décennie 1930.

 


Installations de la Charles Robin, Collas & Company à Percé, vers 1900

UN 20e  SIÈCLE DE CHANGEMENTS

Parmi ces coopératives naissantes, celle de Carleton fait bande à part, car elle réunit des pêcheurs de saumon de l’Atlantique. Cette espèce fera la bonne fortune de la coopérative pendant 50 ans et le saumon Carleton Brand se retrouve sur les bonnes tables au Canada, en Nouvelle-Angleterre et même en Angleterre. Au cours des années 1960, le vent tourne et ce poisson se fait de plus en plus rare. L’effort de pêche, tant le long des côtes que dans les rivières gaspésiennes, a créé une pression énorme sur cette espèce emblématique. Pour les Gaspésien·nes, l’abolition des baux des clubs privés de pêche au saumon sur les rivières, en 1977, permet de retrouver ce patrimoine naturel auquel on n’avait plus accès depuis un siècle.

La fin de la pêche commerciale au saumon, lors du moratoire de 1971, aura un impact, mais rien de comparable avec le moratoire sur la pêche à la morue décrété en 1992. Cette interdiction a mis fin à une longue tradition de pêche à la morue étalée sur plusieurs centaines d’années, obligeant l’industrie à se réorganiser tant en mer que dans les usines. De nouvelles espèces seront ainsi transformées et offertes aux consommateur·rices. De nos jours, crabes et homards gaspésiens, refusés par les usines de transformation il y a quelques décennies, franchissent les frontières et font la réputation de la Gaspésie.

Les produits de la mer, plus que jamais, constituent un atout de la Gaspésie moderne que recherchent les gens qui y vivent ou qui viennent la visiter. La diversité des espèces, des produits et des saveurs, jumelée aux talents des chef·fes, contribue à la réputation et à la personnalité de la région.

 

PAR PAUL LEMIEUX

Historien, Paul Lemieux a travaillé 25 ans au parc national de Miguasha. Il s’implique au sein d’organismes tels l’Écomusée Tracadièche et le parc régional du Mont-Saint-Joseph. Il anime des causeries et collabore au journal municipal Le Hublot et au Magazine Gaspésie.



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