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Métissages gourmands

19 juillet 2022



Métissages gourmands

Photo : Alain Carat

Article rédigé par Mélanie Gagné

« La diversité de chacun fait la richesse de tous. »

Julos Beaucarne

La diversité culturelle en Gaspésie ne date pas d’hier. Au fil des siècles, elle a influencé notre patrimoine culinaire. Aujourd’hui, les métissages gourmands se poursuivent, à notre grand bonheur ! De plus en plus de personnes immigrantes choisissent la Gaspésie comme milieu de vie, apprécient les produits de son terroir et partagent leur patrimoine alimentaire avec leur communauté. C’est le cas de Giovanni, Houssem, Claudia et Ricardo.

De l’île d’Elbe à Carleton-sur-Mer

Giovanni Sorsi est originaire de la plus grande île de l’archipel toscan en Italie. Depuis une dizaine d’années, il vit à Carleton-sur-Mer, où il a fondé le restaurant Tosca : « C’est le prénom d’une dame qui a été inspirante pour moi en cuisine. C’est aussi le diminutif de Toscane, en plus d’être le nom d’un opéra. Je trouvais tout cela intéressant. » Le restaurant appartient depuis deux ans au fils de Giovanni, Julien, 35 ans, sommelier. Chaque année, le chef italien Matteo Dabbene voyage entre Milan et Carleton-sur-Mer pour travailler quelques mois dans la cuisine des Sorsi.

Bien qu’il ne soit plus à la tête du Tosca, Giovanni n’est jamais loin… Il est fier de sa relève : « Julien et Matteo s’entendent pour faire quelque chose qu’on ne trouve pas ailleurs. Ils sont créatifs. Il y a une serre derrière le restaurant où ils font pousser des fleurs comestibles et des herbes. Ils s’intéressent aussi beaucoup aux produits locaux et aux accords mets et vins. Je suis content que le restaurant soit entre bonnes mains. Je mange souvent là et je goûte aux nouveaux plats avant qu’ils soient au menu. » L’établissement rend hommage à la cuisine traditionnelle italienne, tout en mettant en lumière les produits du terroir gaspésien.

Le menu du restaurant Tosca témoigne en effet de l’union de ces deux cultures. On y trouve des classiques italiens autant que des ingrédients typiquement gaspésiens : du turbot cuit à la vapeur avec des tomates fraîches, de l’oignon et du vin blanc, ainsi que des plats de pâtes avec des champignons sauvages proposés à l’ardoise.

Le restaurant confectionne un pesto avec des ingrédients biologiques fournis par des maraîchers locaux. Les moules de la Ferme maricole du Grand Large et les huîtres William B y sont aussi apprêtées à l’italienne. « On sert également du poisson salé séché gaspésien. En Italie, c’est très populaire. »

« En arrivant au Québec, j’ai réalisé que c’est du poisson [salé] gaspésien que je mangeais, dans ma jeunesse, dans mon patelin. J’avais toujours cru que ce poisson venait de la Norvège ou de la Suède. Je me souviens du timbre Gaspé Cured sur la boîte. » – Giovanni Sorsi, originaire de l’île d’Elbe, en Italie

Giovanni a étudié à l’école d’hôtellerie d’Elbe. Jeune homme, il a eu deux restaurants. Dans la vingtaine, son chemin a croisé celui d’Élise Martin, une Québécoise de passage en Italie. Quelques battements de cœur plus tard, Giovanni a choisi d’aller vivre dans le pays de sa douce : « J’étais curieux de découvrir le monde. J’ai appris le français petit à petit. Nous avons d’abord vécu à Montréal. J’ai eu un restaurant sur Saint-Zotique. Ça a été pour moi la grande école de la cuisine québécoise. C’était ouvert 24 heures sur 24 et la nuit je servais de la poutine. » Giovanni et Élise allaient souvent en vacances en Gaspésie, puis ont décidé de s’y installer. Le chef Sorsi a fondé Tosca en 2012.

 


De la Tusinie à Bonaventure

Houssem Dhouib a quitté la Tunisie en 2000. Il a vécu aux États-Unis, puis, en 2007, il a été attiré par le Québec. C’est là qu’il a rencontré sa douce moitié, Véronique Beauchamp. Après 10 ans à venir en vacances en Gaspésie, les amoureux ont décidé d’y prendre racine avec leur fille.

Houssem est mécanicien industriel, mais c’est un touche-à-tout : « J’ai exploré beaucoup de choses. J’ai eu une entreprise de construction et un camion de crème glacée. En Gaspésie, je n’ai pas trouvé de travail dans mon domaine, alors, quand j’ai vu que la boulangerie La Pétrie était à vendre, ça m’a intéressé. » Il est devenu copropriétaire de l’entreprise avec sa conjointe. L’ancien grand manitou de La Pétrie, Marco Bourque, a passé du temps avec eux afin de leur transmettre ses connaissances. Houssem a aussi fait beaucoup de recherche et de lecture sur la boulangerie.

Pourquoi passer de la mécanique industrielle à la boulangerie ? « En Tunisie, le pain est très important. C’est comme le riz pour les Asiatiques. On consomme beaucoup de pain. Dans mon pays d’origine, le pain du matin n’est plus frais en après-midi. La fraîcheur est importante à ce point pour les Tunisiens ! »

Il y a quelques mois, Houssem et Véronique ont accueilli dans leur équipe un couple français : Audrey Couderc, qui travaille au comptoir, et Guillaume Carmantrand, boulanger. Des produits artisanaux de tradition française sont donc confectionnés chaque jour à la boulangerie, avec des farines biologiques.

Dans chaque ville où il s’est installé, Houssem a aimé goûter aux ingrédients et aux mets locaux : « C’est une bonne façon de s’intégrer ! J’ai mangé de la poutine direct en arrivant au Québec. Je mange du pâté chinois. J’y ajoute par contre de la harissa. Quand je prépare un couscous ici, il y a une touche québécoise parce que j’y ajoute des choux de Bruxelles. » Lorsqu’il cuisine pour ses amis gaspésiens, Houssem prépare souvent des doigts de Fatma, du couscous ou des bricks1.

« Dans ma vie, j’ai vu beaucoup de sortes de personnes. J’apprécie vivre avec la différence, la diversité. En Gaspésie, je suis bien ! Les gens sont gentils. » – Houssem Dhouib, originaire de la Tunisie

 


Du Pérou et de l’Équateur à Gaspé

Claudia Romero, du Pérou, et Ricardo Granja, de l’Équateur, se sont rencontrés à l’université en Équateur. Les amoureux ont décidé de pimenter leur vie en partant vivre à l’étranger. Ils ont posé leurs valises à Montréal en 2012. Après avoir suivi des cours de francisation dans la métropole, ils ont fait leur nid à Gaspé en 2013. « Nous sommes ingénieurs en aquaculture; l’eau, ça nous parle ! L’humain doit connaître la mer ! » affirme Claudia.

À leur arrivée, les tourtereaux ont été engagés comme observateur·rices des pêches en mer. « On a pratiqué notre français avec les pêcheurs ! » se souvient Claudia avec bonheur. Le couple a ensuite travaillé pour plusieurs entreprises et fondé une famille. Puis, est venu le moment de réaliser un autre projet qui leur tenait à cœur : devenir entrepreneur·es. « On a eu l’opportunité de reprendre le Marché des Saveurs gaspésiennes. Nous étions emballés ! »

« Pour nous, la nourriture fait voyager et rend heureux. Elle permet de beaux échanges culturels et rassemble les gens. » – Claudia Romero, originaire du Pérou

Le Marché des Saveurs gaspésiennes est une épicerie fine située au cœur de Gaspé, sur la rue de la Reine. Les palais gourmands peuvent y trouver de nombreux produits locaux, des repas à emporter et des bières de brasseries artisanales. Lorsqu’ils ont acheté, il y a un an, Claudia et Ricardo ont travaillé en collaboration avec les anciens propriétaires. Depuis six mois, ils mènent leur barque en duo.

Claudia et Ricardo ont beaucoup d’idées, mais ils veulent bien faire les choses, alors ils prennent leur temps. « On pense à fusionner les types de cuisine, on veut agrandir la section épices du monde, on a un projet avec des nouveaux arrivants pour faire découvrir des ingrédients et des mets de différents pays », énumère Claudia. Elle aimerait aussi que leur chef puisse aller au Pérou et en Équateur afin de s’imprégner de la culture locale et de s’en inspirer pour cuisiner.

« En Équateur, on mange beaucoup de soupe. La soupe aux pois a d’ailleurs été une belle découverte pour nous ici. » Autre révélation pour la néo-Gaspésienne : la poutine aux crevettes du Brise-Bise.

Avec leur fille et leur garçon né·es à Gaspé, avec qui ils parlent « fragnol », Claudia et Ricardo ont le sentiment de vivre dans un paradis.

Trois de nos invité·es en un coup d’œil

Giovanni Sorsi, 66 ans, Carleton-sur-Mer

Pays d’origine : Italie

Ingrédients d’ici préférés : sirop d’érable; moutarde; poissons, moules et huîtres

Houssem Dhouib, 43 ans, Bonaventure

Pays d’origine : Tunisie

Ingrédients d’ici préférés : sirop d’érable; champignons sauvages; homard et crabe

Claudia Romero, 38 ans, Gaspé

Pays d’origine : Pérou

Ingrédients d’ici préférés : sirop d’érable, fruits de mer, poissons


Fusion de cultures en cuisine

Chez Tosca, Giovanni Sorsi a misé dès le départ sur les spécialités italiennes préparées avec des ingrédients gaspésiens et québécois.

Dans le futur menu du Marché des Saveurs gaspésiennes, Claudia Romero songe à intégrer du lomo saltado, un classique péruvien à base d’émincé de bœuf, des soupes équatoriennes et des patacones (plantain frit).

À La Pétrie, Houssem Dhouib aimerait un jour proposer des produits tunisiens aux clients, peut-être le tabouna, un pain rond et plat cuit sur les parois d’un four en terre cuite.


1. Constitués de feuilles de brick farcies et frites, les bricks (pliés en triangles) et les doigts de Fatma (de forme allongée) peuvent contenir thon, poulet, viande hachée ou crevettes, et pommes de terre en purée, fromage, câpres, persil et œufs. Au Québec, Houssem remplace les feuilles par de la pâte à rouleaux de printemps.



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