Manger gaspésien dès l'enfance
11 juillet 2024
«Attendez-moi un instant, je vais éteindre les ronds de la cuisinière et je reviens!» La voix, joyeuse, résonne dans l’installation Campbell de New Richmond, un des six établissements affiliés au CPE de la Baie. Il est tôt. Marie-Hélène Audet règne aux fourneaux et s’acquitte avec bonheur de sa mission quotidienne : nourrir 65 enfants et 8 adultes. Grâce à elle et ses collègues, près de 300 enfants profitent du programme des Petits Ambassadeurs.
Marie-Christine Boudreau, directrice des services éducatifs du CPE de la Baie, accompagnée de Marie-Hélène Audet, cuisinière à l’installation de New Richmond
Ce programme né au Saguenay—Lac-Saint-Jean a été déployé en 2021 par Gaspésie Gourmande à l’échelle de la région. Cette démarche, dont la première phase a été complétée à la fin 2023 et que Gaspésie Gourmande compte poursuivre, a permis d’identifier les obstacles liés à l’approvisionnement local. La directrice des services éducatifs du CPE, Marie-Christine Boudreau, précise: «Dès le départ, nous avions l’intention de centraliser les achats. Les producteurs choisis sont en mesure de répondre à nos besoins. Prenons un exemple: Alex-Émilie Plourde-Leblanc, de la Ferme du 4e Rang — Bergerie OviRêve, nous prête un congélateur, le remplit; notre commissionnaire récupère les commandes des établissements et se charge de la distribution.» La solution avantage tout le monde. Alex-Émilie met ainsi son agneau en marché, de même que le porc et le bœuf de la Ferme du Bovirêve, propriété de son père et de son frère. Aujourd’hui, elle n’a qu’un transport à organiser, au moment qui lui convient. À la demande des cuisinières, elle offre de gros emballages, ce qui réduit la manipulation. Alex-Émilie est enthousiaste: «Ce qui est l’fun, c’est que je livre d’un coup plusieurs dizaines de livres et je n’ai qu’une facture à produire! Je gagne du temps pour m’occuper de mes animaux.»
Le programme des Petits Ambassadeurs, en plus d’avoir tracé un portrait des sources d’approvisionnement, fixe des objectifs aux établissements participants. Dans le cadre de ce programme, ceux-ci devraient, en priorité: valoriser le partage, augmenter les équipements d’entreposage et mettre en place une marche à suivre simple pour les cuisinier·ères des CPE. Déjà, la mise en œuvre du programme démontrait des bénéfices, par une augmentation de près du double du pourcentage d’approvisionnement en produits alimentaires régionaux en seulement une année d’accréditation, passant de 9 % en 2022 à 16 % en 2023. Si le poisson demeure un enjeu (les débarquements de turbot, une espèce abordable, ont chuté), on espère obtenir du sébaste, et des discussions sont en cours avec une entreprise de transformation de produits marins. Et réjouissons-nous, l’approvisionnement de fruits et légumes frais en saison dépasse la cible, et de beaucoup quand on le compare aux autres CPE du Québec. En Gaspésie, fraises, framboises, camerises, pommes, etc., se glissent dans les compotes, muffins, collations et desserts. Mais attention! La hausse du coût des aliments allume des voyants dont il faut se préoccuper pour continuer de déployer l’offre locale.
Fervente locavore, Marie-Hélène Audet tient bon et confirme que cette démarche a permis de faciliter le partage d’informations entre collègues. La fierté percole dans son discours: «C’est correct de manger les pommes du Québec! Ici, tout l’automne, les nôtres provenaient du Verger Lamontagne, situé juste à côté. On s’est amusés, on les a cuisinées, goûtées et ça a duré de septembre jusqu’au début décembre!»
TRAVAILLER EN BOUCLE
À Cap-Chat, Della Guérette cumule deux emplois: la technicienne en loisirs à l’École de l’Escabelle est également cheffe de Valmont plein air: «Au restaurant, avec le temps, j’ai connu les fournisseurs locaux et appris à ne pas gaspiller. À la polyvalente, il n’y a pas de service de cafétéria, mais on en a fait une petite! Nous sommes la seule école du Centre de services scolaires des Chic-Chocs qui dispose d’une cuisine fonctionnelle. J’ai aménagé l’ancien local d’économie familiale pour en faire la salle du Club des petits déjeuners. L’inconvénient? Le budget. Dans les petits établissements d’enseignement, on manque de moyens.»
Della Guérette
Elle mentionne fièrement la contribution de sa brigade. «Les élèves que j’embauche au Valmont continuent, pour la plupart, à m’aider pendant l’année scolaire. Ils adorent ça. Quand je les croise, après le secondaire, ils me reparlent de l’école, de leurs recettes, et me demandent mon avis!»
De la maternelle jusqu’à la fin de l’adolescence, on sert repas et collations à l’École des Deux-Rivières de Matapédia. L’idée, née d’un échange impromptu, a permis à Marylène Leblanc d’installer sa boulangerie La Saveur du Plateau au cœur de l’école. Alors qu’elle se voyait forcée de déménager, elle a manifesté son intérêt pour reprendre la cafétéria, à condition de pouvoir maintenir son activité commerciale. Le marché s’est conclu rapidement! Depuis, les effluves du pain qui cuit embaument les couloirs, et les récoltes issues du jardin potager et des serres de l’établissement sont transformées sur place: «Les enfants nous voient travailler, on pousse fort pour qu’ils mangent des légumes, j’utilise de plus en plus de substituts de viande», précise-t-elle.
À Bonaventure, Vincent-Olivier Bastien, propriétaire d’une ferme d’élevage de chèvres et de la boucherie Le Caprivore, a trouvé, en remettant les pieds dans son école secondaire, une autre façon d’avoir de l’impact dans sa communauté: «J’avais envie de leur faire de la bonne bouffe!» dit-il d’entrée de jeu. Après la fermeture de la cuisine au printemps 2023, il a visité les installations scolaires et vu la possibilité de cuisiner sur place, à la fois pour la cafétéria et sa boutique: «C’est la combinaison des deux qui donne la plus-value. Les cartesrepas sont en vente au magasin et les portions restantes de la cafétéria se retrouvent dans la section du prêt-à-manger.» Mais, le défi, avec des ados, c’est plutôt de ne pas en manquer! Il cherche l’équilibre pour ne pas avoir de surplus: «On les laisse juger. Je préfère en servir moins et les laisser en redemander.» Celui qui est aussi président de la Maison des jeunes de Caplan recueille les commentaires des jeunes jour après jour. La soupe aux pois verts et à la menthe, qu’il trouvait pourtant délicieuse, ne reviendra pas au menu. Les ailes de pintade ont fait fureur: «Ils nous remercient, les assiettes reviennent vides! Je fais de l’éducation à l’alimentation; quand un jeune me dit qu’il ne veut que des pâtes blanches, je me permets quelques blagues et, doucement, il accepte d’essayer.»
Vincent-Olivier Bastien, au service dans la cafétéria de l’école secondaire
UNE CONSCIENCE QUI S’AIGUISE
Que laisseront toutes ces traces semées, repas après repas, une fois que ces jeunes auront atteint l’âge adulte? Et plus tard, parmi ces garçons et filles, qui optera pour un métier de bouche? Impossible à dire. Mais les graines plantées un peu partout dans la péninsule semblent stimuler l’appétit pour les ressources locales. André Lagacé, chef enseignant au Centre de formation professionnelle de La Côte-de-Gaspé, témoigne des progrès chez ses étudiant·es: «C’est mieux qu’avant, on sent les jeunes plus préoccupés par l’environnement, sensibilisés à l’importance du gaspillage et du compostage. Dès la rentrée, notre cohorte se déplace pour aller à la rencontre de producteurs et productrices. Une fois en cuisine, on essaie de travailler avec le local, le plus possible.»
Visites à la ferme, repas équilibrés, collations maison, aide aux collectes de fonds étudiantes, ateliers des Brigades culinaires, dans les actions et les mots de ces responsables alimentaires pointe une affection sincère. Après le «pourquoi?», en conclusion, les réponses jaillissent, enthousiastes et pleines de tendresse: «C’est vivant et vivifiant!», «J’ai élevé mes enfants et, là, ce sont ceux de la communauté qui me tiennent!», «Quand je suis en congé, je trépigne à l’idée de revenir travailler!», «C’était mon école secondaire et, aujourd’hui, j’aime les voir manger autre chose que des sandwichs!» Et comme la cuisine est acte d’amour et de réconfort, il est réjouissant de voir qu’en Gaspésie, plusieurs jeunes sont comblé·es!
--------------------
Potagers et parcs nourriciers
Un peu partout dans la péninsule, les bacs de culture de légumes, à proximité des écoles et CPE, ont la cote. C’est bien connu, le fait de mettre les mains dans la terre, de voir pousser les plants, de goûter ce qu’on a semé trône au palmarès des projets d’éducation à l’alimentation. En Haute-Gaspésie, l’École Notre-Dame-des-Neiges, à Marsoui, va plus loin. Grâce à Nourrir notre monde, une initiative liée à la prise en charge des communautés en vue de favoriser l’autonomie alimentaire, un verger communautaire a surgi. Une centaine d’arbres et d’arbustes fruitiers ont été plantés, et l’aménagement a été conçu pour pouvoir y tenir des classes vertes. On rêve du jour où la récolte sera transformée dans des ateliers de cuisine.