Femmes d'horizon
20 juillet 2020
Audrey-Anne Côté, Michèle Poirier et Alexandra Labbé, Gaspésiennes et entrepreneures dans le secteur bioalimentaire, ont naturellement pris leur place dans un univers masculin, guidées par leur instinct. Conversations avec ces femmes inspirantes qui voient l’horizon là où d’autres voient une frontière.
PAR MÉLANIE GAGNÉ
[email protected]
Créatrice de contenu (mgcreatricedecontenu.com), elle collabore à plusieurs magazines. Elle s’intéresse à l’alimentation, à la cuisine, aime fréquenter marchés publics et cafés. Les pieds dans le fleuve depuis l’enfance, elle a de beaux souvenirs de cueillette de coquillages, de baignade et de pique-niques sur les plages de la Gaspésie. On peut la suivre sur Facebook (Mélanie Gagné, créatrice de contenu).
BRASSER DE LA BIÈRE
En juillet 2017 à Gaspé, Audrey-Anne Côté et son père ont enlevé l’enseigne Molson de l’entrepôt où ils se sont installés pour la remplacer par celle de la Microbrasserie Cap Gaspé, leur entreprise, née d’une passion commune pour la bière.
Le père et la fille ont commencé à brasser à la maison, pour le plaisir : « J’ai déjà été cuisinière et j’ai toujours trippé sur l’art culinaire. On s’est mis à brasser à la maison, mon père et moi. À l’époque, il n’y avait pas de brasserie à Gaspé. La famille et les amis trouvaient qu’on faisait de la bonne bière et nous ont encouragés à démarrer une entreprise. On a dit : “Ce n’est pas une mauvaise idée ! On pourrait essayer !” »
La couleur familiale de la microbrasserie attire l’attention : « Les gens aiment vraiment le concept d’entreprise familiale. On n’en voit pas tant que ça, des entreprises père-fille. Ma mère travaille ici, ma sœur travaille ici. Les gens peuvent nous parler. On est souvent sur place, on est super ouverts. C’est très décontracté comme ambiance », soutient Audrey-Anne.
« On a toujours des expérimentations à l’ardoise. Ça dynamise vraiment l’endroit. Les gens, à chaque saison, peuvent voter pour une bière afin qu’elle fasse partie de la gamme que nous faisons quelques fois par année. C’est notre façon de rendre la bière démocratique », explique la brasseuse.
Audrey-Anne aime beaucoup le milieu brassicole. Elle a toujours été bien accueillie par ses confrères. Elle a reçu de l’aide de son ami Francis Joncas (copropriétaire de la nano-brasserie Brett et Sauvage), entre autres. Elle reconnaît toutefois qu’il s’agit d’un monde homogène : « On en a déjà parlé en congrès [de l’Association des microbrasseries du Québec]. On regardait dans la salle et il y avait juste des hommes blancs. Je trouve qu’une équipe diversifiée, c’est bien, parce que chaque personne amène de ses forces, sa couleur, sa culture. Il y a des clients qui m’ont déjà dit : “On sent qu’il y a une touche féminine dans la brasserie, dans les bières.” Ça prend des équipes plus diversifiées. Pas juste de genres, mais aussi de cultures. » Selon la brasseuse, le milieu veut recevoir des femmes; il faut simplement qu’elles se manifestent.
Audrey – Anne Côté
29 ans, Gaspé
Brasseuse, cofondatrice de la Microbrasserie Cap Gaspé
Production : bières d’inspiration allemande et américaine
Matière première : locale, autant que possible
CULTIVER LA POMME DE TERRE
Michèle Poirier et son conjoint, Martin Poirier, de Bonaventure, ont eu quatre bébés : trois enfants et une entreprise. En 1973, ils ont fondé Patasol, spécialisée dans la culture de pomme de terre. Michèle avait 19 ans. Les premières années, le couple était copropriétaire de l’entreprise avec l’oncle de Martin puis, après 10 ans, les amoureux ont volé de leurs propres ailes.
Michèle est dans le domaine depuis tant d’années qu’elle n’est plus certaine de se souvenir « pourquoi la patate ? ». Une chose est sûre, elle affectionne le tubercule : « Voir pousser une patate, ça m’a toujours impressionnée. Être capable de nourrir du monde, c’est quelque chose ! Il ne faut pas oublier que la patate a sauvé le monde de la famine. » Le couple s’est bien entouré. Michèle vante les talents de son agronome, Jean-François Chabot, qui travaille les champs en employant des techniques écologiques. L’entreprise produit d’ailleurs une pomme de terre selon des pratiques écologiques (sans intrants).
Ce métier était fait sur mesure pour Michèle : « Il m’a permis d’avoir les enfants avec moi beaucoup, d’être dans la nature, de voir grand, d’avoir plein de gens autour de moi », confie-t-elle. Il y a eu des moments difficiles, certes, surtout les premières années, alors qu’elle devait récolter les pommes de terre à la main, mais sa volonté d’innover la motivait : « Il faut être capable d’oser ! T’es assis dans une auto, tu as un petit miroir pour regarder en arrière et un pare-brise pour regarder en avant, t’es mieux de regarder en avant ! » L’agricultrice affirme avoir toujours été épaulée par Martin et comprise par ses enfants.
En plus d’être productrice agricole, Michèle porte le chapeau de présidente de l’Union des producteurs agricoles (UPA) de la Gaspésie-Les Îles. C’est dire qu’elle a plus souvent travaillé avec des hommes : « Que je sois avec un gars ou une fille, je me sens bien. Je me sens égale. Je n’ai ni de sentiment d’infériorité ni de sentiment de supériorité. Je conduis des tracteurs, j’ai conduit des camions de voyages de patates. Je n’ai peur de rien ! Si ça se fait par un humain, les femmes sont autant capables que les hommes ! » Michèle et Martin Poirier vivront bientôt une nouvelle étape : transmettre leur savoir et passer au suivant. « Faut que ça continue ! » Ils devront apprendre à regarder Patasol dans le rétroviseur...
Michèle Poirier
65 ans, Bonaventure
Agricultrice, cofondatrice de Patasol
Présidente de l’UPA Gaspésie-Les Îles
Cultures : 200 acres de pommes de terre et 600 acres de céréales
Variétés de pommes de terre : trois jaunes, quatre rouges et sept blanches
PÊCHER LE HOMARD
Le printemps et l’été, Alexandra Labbé travaille avec une vue sur le golfe du Saint-Laurent, le rocher Percé, l’île Bonaventure et les oiseaux marins. Elle entame cette année sa 15e saison de pêche au homard. Elle est capitaine propriétaire depuis 2016 et pêche dans la zone 20A3 de Cannes-de-Roches. « Être à bord, c’est magique ! Il n’y a pas de mots pour décrire à quel point c’est le plus beau métier du monde. Ton bateau, c’est ton bureau, tu es à l’air libre. Ce n’est pas plaisant chaque jour parce que la température n’est pas toujours belle et on vient qu’on “pogne” de la fatigue, mais tout me rend heureuse dans ce métier. C’est ma passion ! » lance-t-elle.
La Percéenne monte sur des bateaux de pêche depuis l’enfance. Son papa, Bernard Labbé, était un pêcheur bien connu dans la région. Alexandra a travaillé longtemps avec lui. « J’ai grandi là-dedans. Quand j’étais petite, je disais tout le temps que c’était mon rêve de devenir capitaine de mon propre navire. Mon rêve s’est réalisé, mais dans un contexte triste, suite au décès de mon père en 2015. C’était un très bon pêcheur. On a perdu un gros morceau », confie-t-elle. Bernard Labbé avait des amis fidèles qui l’appelaient chaque midi pendant la saison de pêche pour prendre des nouvelles. Ils veillent maintenant sur la fille de leur ami, au grand bonheur d’Alexandra : « Ça me fait tellement un velours ! Je le dis avec le “motton”. Je trouve ça l’fun, la chimie qu’on a. Henri Lelièvre a toujours été là pour moi, Laurier Vibert aussi. Camille Lachance, c’est mon deuxième père et mon deuxième mentor. Il a pêché longtemps avec mon père. J’ai un problème ? J’appelle Camille ! C’est mon top one !
La femme de mer se sent bien accueillie dans le milieu : « Avec les hommes sur mon bateau, ça s’est toujours super bien passé. J’ai beaucoup “drillé” d’hommes qui n’avaient jamais fait ça. Je leur donne des conseils et ils les prennent. Je trouve ça sympa. Il y a des petites jokes de gars qui sortent de temps en temps sur les filles, mais j’ai la réponse assez facile. Je sais me défendre ! » Elle se réjouit qu’il y ait de plus en plus de femmes qui pêchent.
Alexandra Labbé
31 ans, Percé
Capitaine propriétaire d’un homardier
Diplômée en pêche professionnelle
Bateau : Le Noroît 1
235 casiers
Lieu de livraison : Lelièvre, Lelièvre et Lemoignan, Sainte-Thérèse-de-Gaspé