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Du temps, des idées, des projets

15 juillet 2020



Du temps, des idées, des projets

Adaptabilité, créativité et ténacité : voilà ce dont ont dû faire preuve les producteurs et transformateurs bioalimentaires gaspésiens, suivis de près par les commerces et restaurateurs, au printemps 2020. Si la crise de la COVID-19 a fait mal à la grande majorité d’entre eux, elle a aussi propulsé les ventes de certains et fait naître de surprenantes initiatives.
 



PAR MARIE-ÈVE FOREST
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Consultante en communication (communicationantilope.com et Comme une agence) dans sa Gaspésie d’adoption, elle se spécialise en rédaction (Web et imprimé) et en stratégie de communication. Rédactrice en chef du présent Guide-Magazine depuis 2010, elle affectionne tout particulièrement les projets gourmands, touristiques et culturels.
 



À Baie des saveurs, la vente directe en ligne de produits bioalimentaires auprès des citoyens est instaurée depuis 2010. De novembre à mai, d’abord chaque semaine puis toutes les deux semaines, la clientèle de ce regroupement de producteurs et de transformateurs choisit des produits dans un formulaire en ligne, puis les récupère à l’un des six points de chute, de Carleton-sur-Mer à Paspébiac. Pendant la crise, la demande a explosé : « À la première livraison, on a senti un gros saut et, à la dernière, un autre », mentionne Éric Giguère, cofondateur. « La moyenne de la saison 2019-2020 à Carleton était entre 40 et 50 [commandes] à chaque livraison. Et c’était pas mal comme ça pour tous les points de chute. À la dernière commande, on était à plus de 80 ! Il y avait beaucoup de nouveaux intéressés par l’approvisionnement alimentaire local et sécuritaire qu’on organise tous ensemble », note-t-il.

Les paniers de légumes estivaux ont aussi eu un gain de popularité. Aux Jardins d’Amaryllis (Douglastown), 35 familles étaient abonnées aux paniers à leur mise en place, en 2019. « Cette année, à l’ouverture, on avait 50 inscriptions en moins de 24 heures, mentionne Marie-Claude Ricard, responsable du site de Prével. On a monté à une capacité de 70 et, en 4 jours, c’était complet. On a même une longue liste d’attente. » Même son de cloche au Jardin du Village (Caplan), qui comptait 200 abonnements en 2019. « Cette année, on a une hausse fulgurante : le 27 avril, on avait atteint 300 paniers ! On a dû fermer les abonnements pour respecter notre capacité de production. Les années passées, c’était encore possible en juillet de s’inscrire pour un panier, mentionne Sonia Boissonneault, copropriétaire. Avant, le monde avait une volonté de faire de l’achat local, mais là, pendant la crise, les gens ont eu un déclic : l’achat local, c’est maintenant que ça se passe ! »

Aux Bergeries du Margot (Bonaventure), qui vendaient principalement leur agneau nourri aux algues sur les marchés de Montréal et Québec, un service de vente directe et de livraison en Gaspésie et à Rimouski a été instauré au printemps et connaît un beau succès. « Les commandes continuent d’affluer ! » affirme Manon Lelièvre, copropriétaire. Ainsi donc, pour cette entreprise qui propose un produit de niche, un marché de proximité s’est développé pendant la pandémie. « Manger local, ça vient d’être mis vraiment en avant. On a voulu suivre la vague. »

DES COMMANDES TÉLÉPHONIQUES À LA VENTE EN LIGNE
Au marché gourmand Chope-sur-mer (Carleton-sur-Mer), Jacinthe Déziel et Christian Rivière ont instauré les commandes téléphoniques avec cueillette sur place dès le 16 mars. Une semaine plus tard, ils proposaient aussi la livraison. « On a pris plus de 300 photos et créé des albums sur notre page Facebook » pour faciliter le magasinage. Les premières images montraient des produits locaux : « Faire rouler notre économie en suggérant des produits gaspésiens, la Chope, c’est ça avant tout ! » Une cliente leur a suggéré de créer une boutique en ligne comme venait de le faire la Pâtisserie Ambroise (Maria). Le 6 mai, plus de 1000 produits y étaient affichés. Recevant jusqu’à trois appels à la fois, ils ont eu un peu de répit grâce au Web : « Les ventes via la boutique en ligne sont devenues les trois quarts des commandes. » Selon le couple d’entrepreneurs, les messages véhiculés sur l’importance d’acheter localement ont porté fruit. Après une baisse observée en mars, leurs ventes ont légèrement augmenté par rapport à 2019 en avril et mai.

La hausse a été encore plus importante Chez Cévic (Sainte-Anne-des-Monts) pendant la même période. « On a eu une grosse augmentation et plusieurs clients mentionnaient : “C’est la première fois qu’on vient ici, on ne pensait pas que c’était grand !” », raconte Émilie Lafontaine, gérante et future relève de cette poissonnerie, boucherie et épicerie. Chez Cévic prenait les commandes téléphoniques et offrait d’apporter les achats à l’auto ou la livraison, qui a vite gagné en popularité. « On s’est équipé d’une deuxième voiture, mentionne-t-elle. Les lignes étaient très occupées, alors on a décidé de mettre en place un formulaire de commande en ligne. » La moitié des commandes étaient ensuite passées sur le Web.

Au Restaurant Le Sieur de Pabos du Motel Fraser (Chandler), le système de commande en ligne était en place deux mois avant la crise. Toutefois, les quelques clients habituels qui faisaient préparer des commandes de plats chauds et de prêt-à-manger continuaient de privilégier le téléphone et payaient sur place. « On avait essayé quelques fois de leur proposer de commander en ligne, mais ils n’étaient pas prêts à faire une transaction sans parler à un humain. C’est arrivé avec la pandémie », mentionne la propriétaire, Nadia-Karina Minassian. Dès le début de la crise, les commandes en ligne ont été privilégiées. La livraison a aussi été mise sur pied. « Une clientèle qui n’était jamais venue au resto, mais qui appréciait de pouvoir [se faire livrer des repas] chez elle s’est ajoutée », remarque Mme Minassian. Et bien que les revenus du restaurant aient diminué, elle se réjouit des liens maintenus avec le personnel et la clientèle. « Ça nous a sécurisés; on pouvait passer à travers la crise de façon moins houleuse. »

CAMION-RESTAURANT ET ALIMENTATION MOBILE
À Gaspé, le restaurant TÉTÛ taverne gaspésienne, établi dans l’Hôtel Baker, a cessé ses activités à la fin mars en raison de la pandémie. Le propriétaire, Pascal Denis, a alors saisi l’occasion de réaliser un projet dont il rêvait : mettre sur pied un camion-restaurant (food truck), qui a ouvert le 29 mai dernier. Nicky Cabot, la cheffe du TÉTÛ, a adapté le menu pour faire de la « bouffe de rue » qui met de l’avant les produits gaspésiens. Le mot d’ordre : proposer des plats qui se transportent bien, en utilisant des contenants, pailles et ustensiles compostables. On y sert entre autres des tacos, des guedilles et de la poutine aux fruits de mer, des burgers et de la crème glacée molle « à la sauce gaspésienne » intégrant, par exemple, des bleuets de Gaspésie Sauvage (Douglastown) ou des fraises de la Ferme Bourdages Tradition (Saint-Siméon-de-Bonaventure). Pour l’été 2020, le camion-restaurant est stationné dans la rue de la Reine. « L’objectif de départ était de ramener les employés au travail, précise M. Denis. La réponse est mieux que ce qu’on pensait. On est super contents, les revenus sont bons ! » Par ailleurs, dans le grand Percé, Manue Babin et Maxime Loiselle-Boudreau projettent d’offrir un service d’alimentation mobile aux saveurs de la Gaspésie cet été avec El’ Bourgot.

BAIE DES SAVEURS : UN PIONNIER DE LA VENTE DIRECTE
L’idée de faire la vente directe de produits bioalimentaires aux citoyens a émergé en 1999 des producteurs de légumes Éric Giguère et Luc Potvin. « Il n’y avait pas de légumes bio sur les tablettes des épiceries à l’époque, ni de viande », explique M. Giguère. La distribution a commencé à l’hiver 2000. « On appelait nos connaissances pour offrir nos légumes. Ça a “runné” avec des téléphones aux trois semaines pendant au moins trois ou quatre ans avant qu’on développe un fichier électronique Excel qu’on envoyait à nos contacts. Le courriel commençait à être plus répandu. On invitait les gens à nous envoyer la liste complétée. » MM. Giguère et Potvin se sont rapidement associés à d’autres pour diversifier leur offre, formant ainsi le Réso bio de la Baie. « On a fait affaire avec d’autres fermes vers 2002-2004, comme La Cigale et la Fourmi [Carleton-sur-Mer]. On a commencé à travailler le site Web par la suite et on l’a lancé en 2010 avec le nouveau nom [Baie des saveurs]. »

LA DIVERSIFICATION AU MENU
Simon Poirier, du Bistro-Bar Le Brise-Bise (Gaspé), et Stéphane Boudreau, du Pub St-Joseph de l’Hostellerie Baie Bleue  (Carleton-sur-Mer), ont aussi profité du contexte pour diversifier les activités de leur entreprise respective avec des mets préparés. « Le projet de plats préparés sous vide congelés, ça fait deux ans qu’on l’avait, mais on était trop occupés, confie M. Poirier. Fin mars, on a mis ça en branle. Juste ici, ça a marché beaucoup. Un mois après, on était au Marché Nicolas [Cap-d’Espoir]. Là, on est rendus dans la Baie-des-Chaleurs, au Dépanneur Beau-soir [Saint-Siméon-de-Bonaventure]. » Coquilles de fruits de mer, galettes de morue et pizza à la saucisse du chef Nicolas comptent parmi les mets sous vide offerts, qui représentent maintenant de 25 à 30 % du chiffre d’affaires. « C’est quelque chose qu’on veut continuer. Les gens demandent que ça continue ! »

Pour sa part, M. Boudreau raconte qu’après le « choc » des débuts de la pandémie, il s’est mis en mode veille pour voir comment « faire autrement pour s’adapter » au Pub St-Joseph. Ainsi est née l’idée de la Boîte Baie Bleue, du prêt-à-manger commandable en ligne avec service de livraison. « On a voulu garder notre monde et se positionner dans le positif. C’est quasiment une nouvelle entreprise dans notre entreprise. » Les ventes augmentent chaque semaine : « On a 75 % de repeat; beaucoup de clients rachètent d’une semaine à l’autre, et certains depuis le début, remarque-t-il. Les boîtes sont là pour rester. On a 16 ou 18 producteurs gaspésiens dans les menus actuellement. C’est un concept intéressant : on fait découvrir des produits de niche comme le bacon de mer ou la vinaigrette aux baies d’aronia. »

On ne saurait recenser toutes les initiatives mises de l’avant par les membres de Gaspésie Gourmande depuis le début de la pandémie, allant de la production de gels désinfectants des distilleries (O’Dwyer, à Gaspé; des Marigots, à Caplan; La Société secrète, à Cap-d’Espoir) et microbrasseries (Pit Caribou, à L’Anse-à-Beaufils) aux repas de style cabane à sucre livrés à la maison du Café de L’Anse du Centre culturel Le Griffon, à L’Anse-au-Griffon. Comme quoi face à l’adversité, avec du temps et de la créativité, de beaux projets peuvent surgir.

« MANGEONS LOCAL PLUS QUE JAMAIS ! »
Un vaste mouvement prônant la consommation de produits locaux est né pendant la pandémie. Alors qu’en avril, l’Union des producteurs agricoles (UPA) lançait la campagne « Mangeons local plus que jamais ! », le mouvement était aussi bien amorcé en Gaspésie. Parmi les initiatives lancées sur le Web, notons le groupe Facebook « Achetons gaspésien », qui fait la promotion des initiatives, commerces, produits et fournisseurs de la région afin de stimuler son économie. Divers outils qui aideront les consommateurs à « manger local » naîtront dans la foulée de la campagne nationale de l’UPA. Grâce à leurs contacts privilégiés avec les consommateurs des quatre coins du Québec, les Tables de concertation bioalimentaires du Québec, dont Gaspésie Gourmande fait partie, contribueront à leur rayonnement. Une campagne d’achat local sur trois ans sera également déployée par Gaspésie Gourmande à partir de l’automne 2020. Soyez à l’affût ! 

Très actif dans le groupe Facebook « Achetons gaspésien », le chef Yannick Ouellet, de Croquez la Gaspésie (Sainte-Anne-des-Monts), y partage notamment de délicieuses recettes aux saveurs locales de chefs et personnalités publiques. Une belle façon de faire découvrir les produits gaspésiens !



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