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Autonomie alimentaire - La Gaspésie dans l'assiette toute l'année

2 août 2021



Autonomie alimentaire - La Gaspésie dans l'assiette toute l'année

Avec cinq marchés publics, une quinzaine de kiosques à la ferme, des boutiques de producteurs ou transformateurs, des épiceries fines, des boulangeries, des poissonneries, des mielleries et des érablières, une offre de produits locaux au supermarché et au restaurant, la péninsule comble de mieux en mieux l’appétit de ses résidants et celui des touristes.


PAR HÉLÈNE RAYMOND
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Journaliste indépendante, elle est spécialiste de ce qui touche notre rapport à l’alimentation et au territoire (champs, fleuve et forêt). Sa réflexion se nourrit aussi de son travail sur l’identité culinaire québécoise. Membre du comité éditorial de Manger notre Saint-Laurent, elle collabore régulièrement avec l’équipe du magazine Caribou. On peut la suivre sur son blogue, Petits périples.


Hier, on parlait d’agriculture de subsistance : un carré de jardin, quelques pommiers et des fruits sauvages, des animaux de basse-cour, une vache à traire. Du poisson frais ? N’idéalisons pas le passé : les histoires où il n’y a que des têtes de morue sur la table se racontent encore. L’essentiel consistait à nourrir sa famille. Au milieu du xxe siècle, le nombre de ces fermettes se met à décliner; 3000 s’effacent, laissant trop souvent des terres en friche, des bâtiments abandonnés et des arbres fruitiers tordus dans le paysage.

Comme partout, au cours du xxie siècle, l’agriculture se spécialise. En 2021, 220 entreprises gaspésiennes déclarent des revenus de plus de 5000 $ annuellement1. En nombre, au premier rang : les élevages de bovins de boucherie, suivis du maraîchage (excluant la pomme de terre). En revenus : 12 fermes laitières, suivies par l’élevage bovin. En mars 2021, près de 15 % des exploitations détiennent une certification biologique2, soit 5 % de plus que la moyenne québécoise. On ne fait pas que chercher des terres où s’établir, on est souvent en quête d’un mode de vie.

Nombreux sont celles et ceux qui prennent du recul face aux grands réseaux de distribution et à l’offre standardisée pour adopter des principes d’autonomie et d’autosuffisance alimentaire au quotidien. Cet intérêt pour l’approvisionnement local s’accélère depuis la COVID-19. Si la pandémie nous a ramenés dans nos cuisines et nos potagers, elle a aussi permis d’augmenter le nombre de volailles dans les arrière-cours ! Purdel, qui en vend, note une augmentation des ventes de 9 % à sa succursale de Matane et de 42 % à celle de Caplan, en 2020.

Les liens entre mangeurs, agriculteurs et transformateurs de proximité se resserrent. À Sainte-Anne-des-Monts, la Minoterie des Anciens poursuit sur sa lancée en récoltant et conditionnant céréales et légumineuses biologiques. Partout, la culture des petits fruits connaît un bel élan3 et on salue le dynamisme des maraîchers. Au Jardin du Village (Caplan), Étienne Goyer et Sonia Boissonneault sont du groupe qui tire la région vers une plus grande autonomie alimentaire. En 2020, ils ont rapidement accepté d’augmenter le nombre d’abonnements hebdomadaires à leurs paniers. Certains ont craint de manquer de nourriture et l’exhortation à l’achat local a provoqué une accélération de la demande : « On aurait dit un train ! » se rappelle Étienne. Alors qu’ils pourraient atteindre 500 paniers en 2021, il précise que la vague s’est amorcée avant la pandémie : « Tout le monde veut manger plus de végétaux. Mais la clientèle doit dénicher une proposition qui répond à son mode de vie. Voilà qui explique la répartition de notre offre entre paniers, kiosque et marchés. »

L’histoire de la Ferme Patasol, établie depuis 1973 à Bonaventure, ressemble à celle des néo-ruraux contemporains. Michèle Poirier démarre, avec son conjoint, la culture de la pomme de terre sur des terres louées. Près de 50 ans plus tard, avec 10 employés permanents et 5 de plus l’été, elle estime répondre à 60 % de la demande locale, sous sa propre marque et celle des chaînes d’alimentation.

La production légumière s’étend des microfermes diversifiées aux entreprises spécialisées. Grâce à Baie des saveurs, qui regroupe l’offre pour la vendre en ligne de novembre à avril, aux recherches en cours qui prolongeront les saisons en serre et sous abris, on cueillera plus et plus longtemps. De son côté, Myriam Larouche Tremblay met en conserve les surplus de récolte des maraîchers. Son entreprise, Au tour du pot – Conserverie mobile (Saint-Alphonse), propose aussi des formations en ligne aux particuliers : « Le tourisme est essentiel, mais, si nous voulons des entreprises pérennes, il faut nourrir les locaux ! » affirme-t-elle.

UNE ASSIETTE À GARNIR DE PROTÉINES MARINES ET TERRESTRES
Côté mer, des poissonneries modernisées et mieux garnies montrent qu’il est plus facile de manger du poisson gaspésien en Gaspésie, et des démarches en cours incitent l’industrie de la capture et de la transformation à faire davantage pour ses marchés de proximité. À sa 13e année d’existence, le programme Fourchette bleue, proposé par Exploramer (Sainte-Anne-des-Monts), continue de promouvoir les espèces méconnues du Saint-Laurent – estuaire, golfe et fleuve – auprès des consommateurs, des poissonniers et des restaurateurs. Et depuis 2018, le collectif Manger notre Saint-Laurent s’intéresse de très près aux ressources comestibles du Saint-Laurent par des recherches scientifiques, des campagnes d’information destinées au grand public et son engagement ferme à donner, aux communautés côtières comme à l’ensemble du Québec, un meilleur accès aux espèces d’ici, actuellement exportées à fort volume.

Hormis les succès de chasse qui remplissent les congélateurs, l’approvi-sionnement en viandes locales est complexe. Pour les bovins, le gigantesque système nord-américain freine le déploiement d’installations adaptées aux territoires et on perd la trace des animaux, une fois engraissés et encantés. Toutefois, un modèle persiste. Depuis 2008, Marc Cyr, président de la Coopérative Boeuf Gaspésie, travaille avec six partenaires à produire un boeuf nourri au pâturage dont l’élevage répond aux exigences d’un cahier des charges. Chaque année, 200 animaux partent à l’abattoir de Luceville; la majorité de la viande gagne les marchés de Québec et Montréal, le reste est écoulé localement. Pour Marc, la pandémie a peu changé les choses : « Pour nous, les principes du Panier bleu sont ancrés depuis au moins 10 ans. On a senti une hausse au cours de l’été, sans plus. Mais, plus d’éleveurs du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie semblent vendre en direct. »

Bertrand Anel, de la Ferme Percé Nature, a du mal à évaluer si c’est la crise ou le bouche-à-oreille qui explique l’engouement pour ses abonnements. Avec 20 animaux engraissés pour les particuliers, il croit avoir atteint l’équilibre. Alex-Émilie Plourde-Leblanc, des Viandes du 4e Rang – Bergerie OviRêve (New Richmond), combine boeuf, porc et agneau dans ses boîtes : « En 2020, la demande a été forte et j’ai été étonnée de voir que notre clientèle se compose de jeunes familles », mentionne-t-elle.

Le virage vers les plateformes de vente en ligne s’accélère. Aux Bergeries du Margot (Bonaventure), qui propose l’agneau nourri aux algues, on a observé un repli vers la région quand le marché gastronomique s’est refermé, en zone rouge : « Nous avons rapidement adapté notre offre », reconnaît Leïla Arbour, copropriétaire de l’entreprise. « La clientèle locale nous a découverts, leur empressement nous a surpris. »

Pour leur part, Vincent-Olivier Bastien et Éliane Gélinas-Frenette de la Ferme Le Caprivore (Bonaventure) ont souhaité écouler leurs produits caprins et ceux d’artisans-producteurs de la Gaspésie et des régions limitrophes. Leur magasin a ouvert ses portes en pleine pandémie : « Le résultat dépasse les attentes. Nous y vendons des aliments frais et c’est une plateforme de lancement pour des nouveautés. Ces produits, on les mange avec fierté ! » En février 2021, leur étable était ravagée par les flammes. Quelques jours plus tard, ils annonçaient leur intention de reconstruire : « portés par une immense vague d’amour », conclut Vincent-Olivier, rasséréné.

En se réjouissant de tous ces succès, plusieurs voudraient mieux servir les moins nantis. Heureusement, des initiatives visant la sécurité alimentaire donnent espoir.

UNE RÉGION NOURRICIÈRE
En Haute-Gaspésie, le projet Nourrir notre monde a le vent dans les voiles. Le mouvement s’étend dans les MRC de la région et jusqu’aux Îles-de-la- Madeleine. La porte-parole du collectif, Marie-Ève Paquette, affirme que sa MRC est en avance sur sa prise en charge : « On est à déterminer ce qu’on met en place. » Une récente consultation énumère des pistes : poulaillers communautaires, installations de séchage du poisson, caveaux d’entreposage, etc. Soulignons que dans la MRC du Rocher-Percé, Produire la santé ensemble, un organisme d’action communautaire autonome, oeuvre depuis 2008, cette fois dans une optique de santé globale. Les objectifs demeurent les mêmes : consolider une agriculture locale, saine et durable, stimuler la participation citoyenne et accorder au plus grand nombre le droit à une alimentation « suffisante, saine et nutritive ». Et gaspésienne, de surcroît.

SOUHAITS ET ALLÈGEMENTS POUR ALLER PLUS LOIN
À haute voix, on rêve d’un fromage de lait de vache. On pleure encore la disparition des fermes Chimo et Natibo et de leurs fromages de chèvre. On demande de la volaille ! Les kilomètres qui défilent entre la Gaspésie et le premier service d’abattage disponible à l’ouest ainsi que le prix de la moulée découragent tout projet d’envergure. En attendant un couvoir commercial (on ne trouve aucun détenteur de quota de production), des maraîchers glissent des oeufs dans les paniers de leurs abonnés grâce à la capacité d’élevage fixée à 99 poules. Si la débrouillardise n’a pas de limites, le fardeau réglementaire des fermes de circuit court gagnerait à s’alléger.

Michèle Poirier, aussi présidente de la Fédération de l’UPA Gaspésie-Les Îles, admire ce bouillonnement : « On entend parler de serres souterraines, d’églises abandonnées où cultiver des légumes, d’îlots de terre en friche à ranimer avec des projets à petite échelle. C’est comme ça qu’on fait vivre des villages. Et c’est avec des entreprises de tailles diverses qu’on fait vivre une société. » Chose certaine, il y a de plus en plus d’aliments gaspésiens dans l’assiette gaspésienne et de l’appétit pour en manger davantage !

Les mots en couleur soulignent ces concepts qui précisent ce qui va de l’autoproduction nationale au droit des États de diriger leur politique agroalimentaire. Ils définissent la capacité de maintenir une production agricole nationale accessible à tous (autonomie); la satisfaction des besoins d’une population par sa propre production (autosuffisance); le droit, pour les individus, à une alimentation suffisante, saine et nutritive (sécurité). La vente directe illustre ce rapport étroit entre producteur et consommateur. Quant au terme circuit court, les spécialistes conviennent qu’il fait référence au fait qu’un seul intermédiaire agit entre l’artisan et le consommateur. Plusieurs, parmi nos interlocuteurs, se les approprient, à l’échelle gaspésienne.


1. Ce qui donne droit au statut de producteur agricole.
2. Entreprises ayant des produits certifiés | Portail Bio Québec (portailbioquebec.info).
3. Voir le numéro de l’été 2019 du Guide-Magazine.



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