À bas le gaspillage !
17 juillet 2020
PAR MAÏTÉ SAMUEL-LEDUC
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Créatrice de contenu, elle est journaliste de formation. Bien ancrée en Gaspésie, elle élabore des projets innovateurs en métissant les arts et les nouvelles technologies. À partir de sa boîte de gestion d’événements et de communication de Gaspé (maiteevco.com), elle réalise des séries de balados, crée des concepts et produit des événements. Elle fait aussi partie du regroupement Comme une agence.
Vous avez des carottes ramollies, du persil fané et des pommes de terre défraîchies dans votre réfrigérateur ? Et hop ! Une bonne soupe au menu ! Vos efforts serviront à faire votre part pour contrer le gaspillage alimentaire. Selon les statistiques, le tiers de la nourriture produite dans le monde est perdue ou jetée, l’équivalent d’environ 1,3 milliard de tonnes par an. Heureusement, en Gaspésie et au Québec, de plus en plus d’initiatives sont mises de l’avant pour récupérer ces denrées.
LE GASPILLAGE ALIMENTAIRE
Définition : Toute nourriture destinée à la consommation humaine qui est perdue ou jetée tout au long de la chaîne alimentaire, que ce soit au champ, dans le transport, lors de sa transformation, à l’épicerie, dans les restaurants et hôtels ou encore à la maison.
Au Canada, 58 % de la nourriture est jetée tout au long de la chaîne alimentaire, de la fourche à la fourchette, pour un total de 35,5 millions de tonnes (y compris les os et les coquilles d’oeufs).
11,2 millions de tonnes : Quantité de résidus évitables, soit d’aliments qui auraient dû être mangés ou donnés plutôt que jetés. Cela représente suffisamment de denrées pour nourrir toutes les personnes habitant au Canada pendant près de cinq mois.
Source : RECYC-QUÉBEC
Le Jardin du Village (Caplan) produit 300 paniers de produits maraîchers par semaine pour les familles des alentours. Étienne Goyer, copropriétaire, estime que 20 % de ses légumes comestibles ne sont pas commercialisés pour différentes raisons. « La qualité est dure à évaluer, les légumes déclassés et les non vendables restent dans les champs. Chaque année, des surplus sont presque prévisibles », assure-t-il. Un bon exemple ? Le concombre anglais en serre, prisé par ses clients. « Si je veux en avoir assez pour mes paniers et que ça dure quelques semaines, je dois en planter beaucoup. Mais je me retrouve avec un surplus dans le pic de production à la fin juin », estime M. Goyer.
C’est à ce moment que Myriam Larouche Tremblay, propriétaire de la conserverie mobile Au tour du pot (Saint-Alphonse), stationne son camion-atelier au Jardin du Village. « Je me déplace sur les fermes de la Baie-des-Chaleurs pour transformer leur surplus et je fais des produits de conserve avec les légumes non vendus », explique-t-elle. Les concombres anglais trop courbés ou trop gros se retrouvent donc dans des pots de relish, de cornichons lactofermentés ou de cornichons sucrés.
Son camion est un atelier de transformation ambulant normé par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, et équipé pour produire des conserves. « Je voulais démarrer mon projet, mais je n’avais pas 100 000 $ à investir. J’ai acheté un ancien camion Purolator que j’ai transformé pour faire de la conserve. C’est la même chose qu’une cuisine normale, style food truck, mais sans four ni possibilité de faire de la friture », explique l’entrepreneure, qui utilise un autoclave pour certaines de ses conserves.
Pendant l’hiver, elle planifie avec les maraîchers les surplus qu’ils pourront lui fournir. Après la saison des récoltes, elle vend une partie des produits qu’elle a transformés aux producteurs maraîchers pour revente et en conserve une portion qui est commercialisée sous sa bannière. « Les maraîchers travaillent fort pour produire tous ces légumes et c’est dommage d’en retrouver au compost. Étienne a moins de légumes qui vont au compost qu’avant. Le projet a un impact direct. Mon but est qu’il y ait plus de légumes qui se mangent localement, transformés ou pas », précise Mme Larouche Tremblay.
RÉCUPÉRÉES DANS UN SUPERMARCHÉ
Le Marché Viens Metro (Carleton-sur-Mer) a instauré dès 2016 des mesures de récupération de denrées. Viande, produits de boulangerie, produits cabossés, produits laitiers et oeufs arrivant à leur date de péremption sont remis à la Source alimentaire Bonavignon, à Maria, qui les redistribue aux familles défavorisées, aux cuisines collectives et aux organismes communautaires. « En 2018-2019, on a redistribué 12 935 kg [près de 13 tonnes] de produits frais et congelés », mentionne l’épicier Mathieu Viens. Également, en magasin, la chaîne Metro offre aux clients 30 % de rabais sur des produits arrivant à échéance le jour même. « Une sélection est faite pour s’assurer qu’ils soient en bon état », souligne M. Viens. Le lendemain, les invendus sont congelés et s’ajoutent aux produits non périssables récupérés pour la ressource alimentaire.
Un projet de récupération alimentaire a aussi été instauré en 2018 dans la MRC de La Haute-Gaspésie. Chaque jour, une équipe de bénévoles du projet prend en charge des aliments provenant du Metro de Sainte-Anne-des-Monts dont la date de péremption vient à échéance. « Une fois que les aliments sont ici, on les pèse, on les trie, on les range dans les congélateurs et dans les frigos, indique Marie-Christine Lévesque, agente de mobilisation pour le projet. Parfois, on peut revaloriser les fruits et les légumes en les déshydratant. Les denrées sont redistribuées à des banques alimentaires qui aident les familles de la région. On a aussi des propriétaires d’animaux qui viennent chercher les restes. » En 2019, 33,5 tonnes de denrées provenant du Metro, de la Minoterie des Anciens (Sainte-Anne-des-Monts) et de dons divers ont été récupérées. « Un camion de vidange, c’est 16 tonnes, ça vous donne une idée », image Mme Lévesque.
Pauline Curadeau, directrice de l’Accueil Blanche Goulet, gère le projet de récupération alimentaire à Gaspé, où 54 tonnes de nourriture ont été récupérées depuis avril 2019. « On récupère toutes sortes de denrées. Des fois, il arrive des morceaux de boeuf à 130 $ la pièce », dit-elle, étonnée. Les invendus comestibles sont distribués aux organismes de dépannage alimentaire, aux cuisines collectives et aux projets de repas congelés pour personnes en situation de vulnérabilité. « On pensait récupérer 65 000 livres [30 tonnes] cette année, mais on atteindra plutôt 130 000 livres [59 tonnes] », indique Mme Curadeau.
Comment autant de produits se retrouvent-ils en dehors des supermarchés s’ils sont encore bons ? « La date de péremption, c’est le gage de qualité. Ce que ça signifie, c’est que l’on garantit la qualité optimale du produit jusqu’à telle date. Souvent l’état des denrées dans nos frigos à la maison est pire que ce que l’on reçoit au local », dit Mme Lévesque. Quand la crise de la COVID-19 a commencé, les façons de travailler avec les équipes bénévoles ont été modifiées afin d’être conformes aux normes sanitaires. La récupération dans les supermarchés a été maintenue et les dons d’individus ont un peu augmenté. Plusieurs efforts ont été mis en place afin d’aider plus de familles (ligne téléphonique, promotion, sollicitation, etc.). Mais au moment d’écrire ces lignes, il n’y a pas eu d’augmentation de la demande, selon Mme Curadeau, qui attribue ce fait à l’aide financière supplémentaire que les familles reçoivent.
LA BANQUE ALIMENTAIRE QUÉBÉCOISE
Les projets de la MRC de La Haute-Gaspésie et celui de Gaspé font partie du Programme de récupération en supermarché (PRS) de la Banque alimentaire québécoise (BAQ), qui accompagne les différents organismes de récupération alimentaire. La BAQ a des ententes provinciales avec les bannières d’alimentation Metro, Sobeys et Loblaws. Au Québec, 400 magasins participent au PRS, dont 9 en Gaspésie. L’an passé, 90 tonnes de denrées ont été récupérées.
« C’est une initiative qui est encouragée dans le milieu de l’alimentation du Québec, explique Alexandra Dupré, directrice du développement du PRS. Ce projet-là est gagnant pour les bannières d’alimentation au niveau économique, gagnant pour les familles dans le besoin à qui l’on redistribue des denrées comestibles et gagnant pour l’environnement, car il contribue à réduire les gaz à effet de serre et les émissions de CO². »
DEVENIR UN HÉROS, SAUVEUR DE BOUFFE
Dans plusieurs IGA1 de la Gaspésie et du Québec, les produits dont la date de péremption est proche sont retirés des tablettes et se retrouvent à bas prix sur l’application mobile gratuite FoodHero. La Coop IGA de Maria fait partie de ceux qui ont mis en place cette initiative permettant aux consommateurs d’économiser de 25 à 60 % sur les produits qui y sont affichés. Grâce à l’application, « les produits entrent et sortent beaucoup et on rentabilise le magasin », affirme Claude Carrier, directeur général de la Coop. Les invendus comestibles sont par la suite offerts aux organismes de la région qui font de la récupération alimentaire.
1. Au moment d’écrire ces lignes, l’utilisation de l’application FoodHero est suspendue temporairement au IGA de Maria en raison de la pandémie.
D’abord implantée dans les IGA, l’application a fait son entrée dans certains Metro à la fin décembre 2019 sous forme de projet pilote.